la fabrique des Marmottons

Gerbille a 20 mois, elle dit ses premiers mots, tente de descendre les escaliers debout et face au vide, refuse de plus en plus les couches... Elle grandit. Et cela se ressent aussi dans la salle d'activité, où elle décide de son occupation avec beaucoup de sérieux, porte le petit plateau choisi sur un tapis ou un coin de table, et s'absorbe avec plaisir dedans... sauf si l'activité que fait Mouflette à ce moment là est trop intéressante

Je voulais faire un bilan sur les activités que je propose à Gerbille, qui ne méritent pas un long blabla chacune, et en regardant mes photos de ces derniers mois, j'ai été frappée du plaisir évident qu'elle éprouve à vider, à verser, à remplir, et à recommencer.
Ça m'a rappelé une petite histoire de Maria Montessori, qui observe au parc un petit garçon qui remplit un seau de cailloux, et sa nounou qui veut partir. Le petit garçon ne veut pas, il veut continuer à remplir son seau, alors la nounou prend une pelle, remplit le seau, et lui dit «Ça y est, il est plein ton seau, on peut y aller !»... et bien sûr le petit garçon se met à pleurer. Pour Maria Montessori, cette anecdote illustre la différence entre l'objectif d'un adulte, qui est de faire quelque chose pour le quelque chose, pour obtenir un résultat, pour réaliser un but extérieur, et l'objectif de l'enfant, qui est de faire quelque chose pour le faire, pour le geste, pour se réaliser soi-même. D'ailleurs la première chose que fait un enfant de cet âge d'un seau plein, c'est ... le vider pour pouvoir recommencer
Fitzhugh Dodson constate la même chose, quand il dit que pour un petit enfant qui dessine, le dessin obtenu n'a pas beaucoup d'intérêt, tout ce qui compte c'est d'avoir pu le tracer.

Enfin bref, pour en revenir à nos dix-huits-mois, et leur passion pour les transvasements, les encastrements, tout ce qui consister à remplir et à vider, ce ne sont pas les activités qui manquent à présent qu'ils ne portent plus tout à la bouche... En variant les textures (grosses graines, petites graines, farine, eau, ...), en variant les outils (plusieurs pots, des cuillères, petits pichets à bec verseurs, ...), en corsant la difficulté (tirelire avec une fente, jeux d'encastrement, ...), il y a de quoi se réaliser

Les photos représentent dans l'ordre :

• de la patouille libre avec de petites perles, deux boîtes, deux cuillères, un bocal et quelques bouchons
• du transvasement de haricots d'un pichet dans une bassine, avec un plateau à bords hauts pour simplifier le rangement
• un versé d'eau d'un pichet dans un autre
• une tirelire (simple boîte percée d'une fente) à remplir avec des pièces
• des noix de pécan à mettre dans un bac à glaçons
• son premier essai en attrimaths, avec l'encastrement des hexagones !

Pour ses 5 ans, Loupiot peut choisir le cadeau qu'il veut de la part de ses grands parents. Ce seront des playmobils !
Enchanté, il feuillète et re-feuillète le catalogue, me montrant avec autant d'enthousiasme le chevalier noir sur son cheval assorti que l'immense-pyramide-remplie-de-passages-secrets-qui-s'ouvrent-®.
Je lui ouvre le site internet et lui montre comment recopier le code de chaque boîte pour voir si elle est disponible, afficher son prix, et la rajouter dans son panier. Concentré, il s'applique. Au bout d'un moment, il me propose de me dicter plutôt les numéros. Je trouve l'exercice encore plus intéressant. Moi qui regrettais de l'avoir bloqué sur les chiffres rugueux, en passant trop tôt au troisième temps^[1], le voilà qui spontanément me montre exactement où il en est, en nommant sans hésitation la moitié des chiffres, hésitant pour les autres, voire les décrivant autrement («Celui de mon âge», «Celui qui est tout rond en haut»). À force, les hésitations disparaissent, et il fini par nommer le 4 qui lui échappait encore

Puis vient le moment du choix... cornélien !
La somme offerte par les grands parents est un multiple de 6. Je sors la plaque des hexagones, et lui dit qu'il a le droit d'en remplir un.
Pour chaque boîte de playmobil, j'arrondis dans ma tête le montant et lui dis ce qu'elle vaut en triangles verts, en losanges bleus, en trapèzes rouges, ... Il écarquille les yeux devant certaines grosses boîtes qui font plusieurs jaunes ! Et dispose les attrimaths, réfléchis, échange un bleu contre deux verts, et finalement se décide. Pour changer d'avis encore deux ou trois fois avant le choix final

Il y a de ces jeux qui sont géniaux, tout simplement. Qui peuvent être utilisés encore et encore, sans se lasser, avec créativité, patience, ingéniosité. À tout âge^[1], pour toute sorte de découvertes.

Ces polygones de bois sont de ces jeux. Ils sont commercialisés en France sous le nom d'attrimaths, mais tant qu'à apprendre un mot compliqué aux enfants, j'ai préféré leur parler de polygones.
Il y a 6 formes, hexagone jaune, trapèze rouge, losange bleu et triangle vert, losange beige et carré orange, côtés et angles choisis pour permettre des correspondances.

Le parrain de Loupiot lui a offert un baril pour Noël. Le jour où le colis est arrivé, les marmottons sont tout contents. Je ne dis rien, j'observe.
Leur première idée est de faire un fort pour leur pirates playmos, ils se lancent... et petit à petit, délaissent les playmos pour explorer toutes les possibilité de ces "cubes" un peu spéciaux. Un peu comme si leur fonction principale de s'imposait d'elle-même.
Mouflette les trie, et les aligne méticuleusement en longues rangées, debout sur la tranche, collés les uns contre les autres.
Loupiot explore les lois de la gravité, en faisant des empilements un peu plus anarchiques, puis d'un seul coup se met à faire spontanément un début de mosaïque par terre.
Après près de 3/4 d'h d'intense concentration, les playmos ont repris leur droits et ont envahi ce nouveau "parc d'attraction".

Par la suite, je suis intervenue pour leur proposer des idées de choses à faire, des fiches à recouvrir^[2], des encastrements de carton.
Mais sur le moment, j'ai juste trouvé fascinant de voir comment leurs jeux s'étaient organisés spontanément en activités plus appliquées